"VENIR VOIR VENIR" : LA BRETAGNE AU PAS DU MARCHEUR

Jean-Pierre Le Bars arpente le Finistère avec l'obstination du promeneur contemplatif. Son livre "venir voir venir", publié chez Partisan d'Art en collaboration avec l'écrivain Yves Pagès, transforme cette géographie de proximité en objet photographique.
Reste à savoir si l'exercice convainc.
UN CARNET DE ROUTE BRETON
Né en 1952 en Bretagne où il vit toujours, Jean-Pierre Le Bars revendique une approche du territoire par la marche et l'observation.
Le titre dévoile la richesse de sa démarche : "venir voir venir" dessine la géographie circulaire du marcheur - venir (se déplacer), voir (observer), venir (revenir).
Cette boucle territoriale correspond parfaitement à l'expérience du photographe de proximité qui arpente inlassablement le même périmètre pour mieux le saisir.
Chaque image est géolocalisée avec précision, témoignant d'un vrai travail de cartographie sensible du territoire finistérien.
L'ouvrage s'inscrit dans cette photographie du "mundane" chère aux documentaristes contemporains : saisir l'ordinaire, révéler l'histoire dans la banalité du quotidien.
Le titre traduit cette philosophie de la disponibilité : "voir venir", c'est accepter de ne pas forcer l'image, de se rendre disponible aux trouvailles du quotidien.
Ici, point de sites emblématiques ou de cartes postales, mais des détails d'architecture vernaculaire, des objets abandonnés, des fragments de paysage qui composent la trame discrète du territoire.
L'ŒIL DU PROMENEUR
Les qualités du livre se lisent d'emblée. La cohérence visuelle d'ensemble témoigne d'un regard exercé et d'une vraie compréhension de la construction narrative en photographie.
Le Bars maîtrise les codes du documentaire contemplatif : cadrages équilibrés, attention aux textures et aux matières, sens de la composition qui donne relief à l'anodin.
La collaboration avec Yves Pagès enrichit le propos d'une dimension littéraire qui élève l'ensemble au-delà du simple catalogue photographique. L'écrivain tisse un récit parallèle aux images, créant un dialogue entre prose et photographie. L'interview de Fabien Ribéry, intégrée au livre, apporte une dimension théorique bienvenue : elle interroge Le Bars sur sa démarche, précise ses intentions, contextualise ses choix esthétiques. Cette approche croisée permet de créer un véritable objet éditorial.
Le photographe sait capter cette "chance du marcheur" - ces moments où la patience rencontre l'anecdote significative, où l'observation trouve sa justesse.
QUESTIONS D'USAGE
Pourtant, certains choix interrogent. L'usage systématique du noir et blanc, s'il unifie visuellement l'ensemble, soulève la question de l'artifice.
Car le noir et blanc possède ce pouvoir particulier d'ennoblir instantanément le banal, de donner du "cachet" à des compositions qui, en couleur, révéleraient peut-être leur fragilité intrinsèque.
Cette photographie de la banalité quotidienne exige une nécessité intérieure forte pour justifier le déclenchement.
Si quelques images témoignent de cette justesse du moment, d'autres peinent à dépasser le stade de l'exercice de style documentaire.
Le noir et blanc cache-t-il parfois la modestie des sujets ?
ENTRE MONTRER ET RACONTER
Le livre oscille entre deux approches sans trancher clairement : montre-t-il la Bretagne dans sa réalité quotidienne ou raconte-t-il quelque chose de plus profond sur l'identité du territoire ?
Cette ambiguïté, si elle peut enrichir la lecture, fragilise aussi la nécessité du propos.
La reconnaissance institutionnelle dont jouit le travail de Le Bars (expositions en France et à l'étranger) atteste d'une démarche artistique légitime.
Loin de la simple série photographique, le livre assume son statut d'objet pensé, où l'image dialogue avec l'écrit.
Reste que l'accumulation de fragments du quotidien ne suffit pas toujours à créer du sens : elle suppose une correspondance précise entre l'œil du photographe et l'esprit du territoire.
UNE TRAVERSÉE PATIENTE
"Venir voir venir" fonctionne finalement comme un carnet de voyage honnête et modeste. Pas de grandes découvertes ni de coups d'éclat, mais le témoignage patient d'un homme qui connaît intimement son territoire et le parcourt avec la régularité du contemplateur.
Pour qui cherche une Bretagne sans apprêt ni folklore, ce livre offre un regard direct sur les paysages du quotidien.
Il interroge aussi, en creux, sur ce qui fait la force d'une photographie documentaire : la technique maîtrisée suffit-elle à porter un propos, ou faut-il cette nécessité intérieure qui transforme l'observation en évidence ?
Une question que tout amateur de photographie du territoire se pose un jour ou l'autre.
"venir voir venir", Jean-Pierre Le Bars, textes de Yves Pagès, Partisan d'Art.